Trois des victimes françaises étaient des guides originaires de Chamonix. « Ce drame touche durement notre profession, c'est le bilan le plus lourd enregistré depuis l'accident d'avalanche du Kang Guru en 2005 au Népal », souligne dans un communiqué le SNGM. Les autres vicitmes sont de nationalités espagnole, italienne, allemande et népalaise.
Les opérations de recherches par hélicoptère ont été arrêtées hier et se poursuivent au sol, avec des sherpas. Ils ont repris aujourd'hui les recherches pour tenter de retrouver deux Français et un Canadien toujours portés disparus après l'avalanche. Sept alpinistes français sont arrivés ce matin à Roissy-Charles de Gaulle. Tous sont repartis dans leur famille. Cependant, selon le SNGM, l'avalanche ayant eu lieu dans « une zone de crevasses et il est possible que les corps soient impossibles à retrouver ».
Ceci devrait nous rappeler que l'alpinisme est un sport dans lequel on assume constamment un risque et que tous les sommets himalayens sont potentiellement mortels. Voici le rapport entre le nombre de décès et le nombre d'ascensions depuis la première tentative enregistrée pour chaque sommet de plus de 8000 m.
Rapport Décès/ascension:
Annapurna I : 38%
K2 : 23%
Nanga Parbat : 22%
Kangchenjunga : 19%
Manaslu : 18%
Dans la cas du Manaslu, près d'une expédition sur cinq compte au moins un mort: 53 morts pour 297 expéditions avant le drame de dimanche. Ceci devrait démonter une fois pour toute le mythe selon lequel on peut acheter de la sécurité en haute-altitude, grâce à des expéditions commerciales et des bonbonnes d'oxygène. Le nombre d'alpinistes ayant tenté de conquérir le Manaslu a triplé en cinq ans, pour atteindre 2.813 l'an dernier, selon les chiffres du département népalais d'immigration.
Peut-on proposer le toit du monde à des « clients », qui payent, aux Etats-Unis, environ 65.000 dollars ? Non, jugeait l'alpiniste russe Anatoli Boukreev, qui a escaladé 10 des 14 sommets de plus de 8.000, sans oxygène, même lorsqu'il travaillait dans des expéditions commerciales. Dans une interview à Mountain Zone, il avait fait cette mise au point: « Mon rôle est clair: je suis un coach, et non un guide. Je loue mon expérience pour aider un groupe à atteindre le sommet. Mais suis-je responsable de leur vie ou mort ? Non. Je leur dis: Vous pouvez réussir. Vous pouvez aussi mourir. Ils comprennent cela. »
Anatoli Boukreev voyait dans l'oxygène, à cause de la fausse impression de sécurité qu'il procure, l'un des responsables des drames qui arrivent trop souvent en haute altitude. Dans un article publié ce mois-ci par Montagne Magazine, il expliquait que l'oxygène, s'il permet de combattre l'hypoxie, diminue les facultés d'acclimatation de l'organisme à la haute altitude. « L'oxygène masquera, pour un temps, les symptômes de votre dégradation physique. Il enflammera votre énergie, comme un gaz sur la flamme. Il allégera vos maux de tête et vos vagues nausées, qui sont les signes annonciateurs du mal aigu des montagnes, jusqu'à ce que vous soyez à la limite. Et quand la flamme claire meurt par manque de combustible, elle meurt totalement. »
A cause d'un accident survenu en 1996, qui avait coûté la vie à 8 personnes d'une expédition commerciale surprise par une tempête à plus de 8000 m d'altitude sur l'Everest, dans laquelle il était guide, il se posait beaucoup de questions sur l'évolution de l'alpinisme. « C'est devenu une sorte de club exclusif. » , s'alarmait-il en mai 1997 dans Men's Journal.« Vous payez beaucoup d'argent, vous jouez votre vie aux dés, et peut-être vous serez chanceux. C'est de la roulette russe, pour ceux qui ont de l'argent en trop à dépenser. C'est déplorable. » Il disait aussi : « Everest business pose beaucoup de questions, mais je ne peux pas y répondre parce que je ne suis pas un businessman. Je suis un alpiniste. »
Il n'est pas le seul dans le monde de l'alpinisme qui se posait des questions. Marc Batard est un alpiniste français de renom. Himalayiste ayant gravi deux fois l'Everest et le Makalu, guide de haute montagne pendant 30 ans, il est célèbre pour avoir ouvert de nombreuses voies et inspiré de nombreuses vocations. Depuis 1988, il détient le record de l'ascension de l'Everest sans oxygène, en 22 heures et 29 minutes. Il est l'auteur de « La fièvre des sommets », Glénat, 2008.
« Je ne connais pas les circonstances exactes de cet accident. En revanche, je sais que si l'on décidait enfin de faire le bilan des accidents, de se remettre en cause, de poser les bonnes questions, on anticiperait les risques et on éviterait bien des catastrophes. Depuis quarante ans que je connais ce milieu, je n'ai pas vu d'évolution. En 1988, lors de mon ascension du Makalu, j'ai été contraint de bivouaquer dans un camp à cause de la fatigue. Il était très mal placé et me condamnait, pendant la nuit, s'il y avait eu des chutes de neige importantes. J'étais pourtant sur les voies normales, le camp avait été établi par les grandes organisations internationales. J'étais outré. Aujourd'hui rien n'a changé. »
Il ajoute : « Le monde des guides et des moniteurs de ski, où règne une certaine omerta, on se prend pour des cadors, on reste sur nos acquis, on marche dans les pas de nos prédécesseurs, quitte à tomber dans la même ornière depuis quarante ans, on continue. Un camp de base est là depuis toujours ? Ne le bougeons surtout pas, accidents ou non. Or l'habitude tue. Il faut que les choses changent dans la formation même des guides. La montagne n'est pas dangereuse, c'est nous, les humains, qui le sommes. »

