Découverte du gène ancestral qui permet aux Tibétains de vivre avec 40 % de moins d'oxygène

Une étrange variante du gène EPAS1, qui provient d'une race d’hominoïde disparue il y a plus de 40 000 ans permettrait aux Tibétains de ne pas souffrir du mal d'altitude.

Voici une histoire passionnante qui nous plonge vers les racines de l'humanité, grâce à l´étude du génome.

Tout a commencé en 2010, quand un groupe de scientifiques est arrivé à séquencer le génome d'un nouveau hominoïde qui aurait une origine commune avec les néandertaliens, mais qui n'aurait pas passé ses gènes à nos ancêtres eurasiatiques.

Ils sont arrivés à le séquencer grâce à un os de main découvert dans la grotte de Denisova, dans le Sud de la Sibérie, pour donner son nom : l'hominoïde de Denisova. L'étude a été publiée le 22 décembre de cette même année dans la prestigieuse revue scientifique Nature.

Cependant, une étude réalisée par des scientifiques de l'Université de Berkeley, en Californie, publiée la semaine dernière dans la même revue Nature, démontre pour la première fois de l'histoire que les humains ont évolué en s'adaptant à leurs nouveaux environnements grâce aux gènes obtenus d'autres espèces hominoïdes en se mélangeant à celles-ci.

Cette étude, que nous résumons à continuation, se compose de trois parties : elle explique d'abord les particularités d'un gène, le EPAS 1 qui permet aux Tibétains actuels de vivres à plus de 4 000 m avec un grand manque d'oxygène. Elle démontre ensuite comment ils ont hérité de ce gène, qui vient des hominoïdes de Denisova. Elle explique enfin, comment les Tibétains ont évolué en s'adaptant à leur milieu (la haute altitude) grâce à ce gène.

Berger Tibétain dans le Chang Tang, à 4 500m d'altitude. Photo: J.Chueca/Barrabes

Première partie : Le gène Tibétain, une variante peu commune du gène EPAS 1, hérité des hominoïdes de Denisova, qui leur permet de vivre en altitude.

Les habitants des hautes plaines et des montagnes du Tibet ont été capables de s'adapter à ce milieu hostile et d'habiter à des hauteurs supérieures à 4 500m, avec 40 % de moins d'oxygène, grâce à un gène prêté par une autre espèce hominoïde. Le reste des humains, même si nous avons la possibilité de nous acclimater et de nous adapter à l'altitude, souffrons de graves problèmes cardiovasculaires à cause de l'épaississement de notre sang.

Ce gène est une étrange variante du EPAS 1. Le EPAS 1, appelé aussi “gène super-athlète“, car quelques-unes de ses variantes aident les athlètes à augmenter le pourcentage d'hémoglobine et le transport d'oxygène dans le sang (et donc le rendement) à basse altitude, pose aussi un problème aux humains quand il s'active à plus de 4 000m. En effet, quand il détecte un fort besoin en oxygène, il augmente la densité du sang, ce qui provoque les graves problèmes que nous connaissons déjà (accélération exagérée du rythme cardiaque, mal de tête, perte d'équilibre, vomissements et même œdèmes mortels), autant à court terme (comme c'est le cas chez les alpinistes, à grande altitude) que sur le long terme, quand il s'agit d'habitants de zones plus basses, mais au-dessus de 3 800 - 4 000 m.

Cependant, la variante de ce gène provenant des Denisovanes, élève seulement légèrement, juste au niveau nécéssaire, le niveau de globules rouges dans le sang, ce qui évite les terribles effets secondaires que le reste des humains souffre à haute altitude. “Nous avons découvert que cette variante du gène, plus longue que le gène normal, existe seulement chez les Denisovanes et les Tibétains et qu'elle est très peu fréquente chez les Han. On ne la retrouve chez aucune autre population humaine (même pas chez les Mélanésiens, qui ont entre 4 et 6 % d'ADN en commun avec les Denisovanes). Ceci démontre que le mélange avec d'autres espèces d'hominoïdes a produit des variations génétiques qui ont aidé les humains à s'adapter à de nouveaux environnements.”

Nomades dans le Chang Tang, autours de 5 000m d'altitude. Photo: J.Chueca/Barrabes

Deuxième partie : l'héritage de ce gène au Tibet et l'influence de gènes d'autres espèces d'hominoïdes sur notre évolution.

La grande question est : “Comment est-il possible que les Tibétains aient reçu (et conservé) ce gène si spécial d'une autre espèce d’hominoïdes, que l'on ne retrouve nul part ailleurs chez l'espèce humaine, sauf en très petites quantités chez les Han ?"

Les scientifiques de Bekerley ont clairement démontré que ce gène vient directement des Denisovanes, une mystérieuse espèce hominoïde parente de la nôtre, qui s'est éteinte il y a entre 40 000 et 50 000 ans et qui vivait en même temps que les néandertaliens.

Ces deux groupes d'hominoïdes ont disparu à cause de la pression des humains modernes, selon Rasmus Nielsen, professeur de Biologie à l'Université de Bekerley et directeur de cette étude. “Nous avons découvert une partie de l'EPAS 1 dans l'ADN des Tibétains qui est pratiquement identique au gène Denisovane et très différente de celui du reste des humains.” Ils ont pour cela analysé différents échantillons d'ADN de Tibétains et de chinois Han et les résultats sont clairs : ce gène est présent dans 87 % des Tibétains et seulement 9 % des chinois Han étudiés.

Nomades de l'éthnie tibétaine dans le Ladakh. Photo: J.Chueca/Barrabes

La théorie générale de l'étude affirme que les humains modernes qui ont abandonné l'Afrique se seraient mélangés avec les populations Denisovanes du territoire de la Chine actuelle, ce qui donne pour résultat que 0,1% de l'ADN Han soit d'origine Denosivane et que ce gène soit toujours présent dans une petite partie de la population.

Mais le groupe qui est arrivé en Asie se serait divisé et une partie de sa population aurait peuplé le Tibet, où ce gène aurait trouvé un habitat idéal pour perdurer et prédominer par sélection naturelle : les humains des hautes plaines et des montagnes qui ne possédaient pas ce gène qui permet de vivre en altitude sans effets secondaires, mourraient avant d'atteindre l'âge de reproduction à un rythme beaucoup plus important que ceux qui le possédaient.

Ceci démontrerait que l'adaptation aux niveaux d'oxygène très bas du peuple Tibétain ne provient pas d'une évolution génétique du génome humain, mais qu'ils ont acquis ce gène d'une autre espèce. La sélection naturelle aurait ensuite fait le reste.

Deux petites tentes nomades perdues dans l'immensité à 5 200m d'altitude.

Troisième partie :

Une fois que nous pouvons affirmer que notre évolution peut provenir de gènes prêtés par d'autres espèces, les auteurs de l'étude se posent la question suivante : « Nous pouvons affirmer que cette partie de l'ADN est Denisovane car nous avons eu la chance de trouver un os dans une grotte qui nous a permis de découvrir une nouvelle espèce. Mais, combien d'espèces responsables de notre évolution existent-t-il, dont nous n'avons pas pu séquencer les gènes ? »

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