En ce mois de mars 2012, la cordée Borgnet-Dumarest a répété la célèbre voie ouverte par les frères Lesueur en 1952. En hommage pour le 60ème anniversaire de cette ouverture historique sur la « face cachée de Drus », ils ont grimpé la voie originale en profitant des bonnes conditions régnant sur le massif du Mont-Blanc.
Le récit de l’ascension du Grand Dru par la face Nord
par Yann Borgnet
"Tout commence par un coup de fil de Christophe, alors que je suis dans une salle de cours Rennaise. Le créneau est là ! Le lendemain, me voilà donc dans le premier train, retour aux sources ! Après un petit détour par la bibliothèque de l’ENSA, c’est décidé, ce sera les Drus, par sa face Nord ! Les Drus, je la connaissais pour sa face Ouest, impressionnant jet vertical de 900m de haut, probablement la paroi la plus imposante du massif. Lorsque l’on circule entre Cham’ et Argentière, c’est LA montagne qui titille le regard. Éclairée par les rayons du soleil couchant, elle semble presque accueillante. Et pourtant, elle a subi de monstres éboulements ces dernières années, en témoigne l’immense tâche grise qui jalonne la face sur toute sa hauteur. Nous ne sommes que peu de choses à côté de cet empilement de 3 tours Eiffel... La Face Nord, lieu austère, face cachée.3h45, c’est l’heure fatidique du lever... C’est déjà presque la grasse matinée pour aller grimper en montagne ! Nous atteignons rapidement nos affaires déposées la veille au pied de la voie. Personne dans la Lesueur, c’est plutôt bon signe ! Cette voie n’a été reprise que très rarement dans son intégralité.
Ueli Steck y est allé trainer ses piolets cet hiver, mais en grimpant de multiples variantes, qui dénaturent un peu l’ampleur de l’itinéraire. Pour notre part, nous voulons grimper la voie originelle, celle de 1952. J’attaque donc par 2 longueurs de mixte d’approche, échauffement aux hostilités qui ne tardent pas à arriver. Troisième longueur, mon piolet file dans le vide ! Tout commence pour le mieux, alors que nous avons 700 m de face mixte au dessus de la tête. Descente signifie retour à casa. Elle se fera donc depuis le sommet, ou ne se fera pas ! C’est donc par une grimpe mi-dry, mi-escalade que je finirai l’ascension. Encore une longueur devant, et je lâche la bête Dumarest. Aucun doute, il est en forme !
Après 16 longueurs de mixte pas toujours très commodes, le jour commence à poindre, et il serait temps de trouver une petite maisonnée. 10 m sous le relais, ça semble pas mal, ou 30m au dessus, peut-être. Que faire ? Nous choisissons la raison. Un petit rappel nous mène à ladite plate forme. On se contentera d’une petite plate forme à peu près plate. C’est moins plat que ça ne paraissait d’en haut, mais un petit peu de terrassement va remédier à ce tort. Deux places allongées, quel luxe !
Arrivé 18h30, il nous faudra 4h pour terrasser, faire fondre 2 litres d’eau et manger…
4h, réveil... Difficile de s’arracher de la chaleur du duvet. Pourtant, il le faut bien. Comme la veille, c’est le bal du réchaud qui initie cette seconde journée en paroi. Faire fondre de la neige, encore, toujours... Ce matin, c’est à moi de commencer. La longueur ne m’inspire pas : une fissure large qui vient rayer un petit mur déversant. Le passage est court, mais impressionnant ! Je pose le sac, et attaque. Je suis toujours frappé par l’adaptation du corps au rocher, plus précisément par son adaptation subconsciente, dénuée de conscience. Par un automatisme bien réglé, les mouvements s’enchaînent de manière presque logique. Il y a toujours la prise là où il faut, quant il faut. Je me retrouve alors au pied d’un tunnel, surmonté par un enchevêtrement de lames dont le maintien tient du miracle, et peut-être pour une petite part du gel. Au début, on ose pas les toucher, puis il vient un moment où, ayant épluché toutes les autres alternatives, on commence à les effleurer... C’est alors par une répartition subtile des appuis que l’on parvient à s’extirper du passage. Répartition subtile se traduisant davantage par un tractage en règle sur l’enchevêtrement douteux... Cette fois-ci, il a tenu !
Bientôt le couloir nord, que nous quittons à une longueur de la brèche pour nous engager dans de belles longueurs de mixte en traverser, afin de rejoindre le sommet du Grand Dru.
Le sommet, plénitude d’un instant unique. Instant mêlé de satisfaction, de relâchement, de décompression, de chaleur, d’une volonté de se poser, de ne plus penser, de ne penser à rien, juste à l’instant, à l’instant présent. Alors que notre existence est entachée de regrets, de souvenirs, de désirs, d’espérances... Ce sont de rares instants où l’on se contente de l’instant, instant de bonheur, peut-être."
Pour en savoir d'avantage sur l'ouverture de la voie Lesueur, regardez cette interview récente de Pierre Lesueur.

Christophe Dumarest en action

La voie Lesueur

Yann et Christophe au sommet
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